Dysbiose durant l’enfance et développement futur de TND : un lien possible ?

Une étude prospective suédoise établit un lien possible entre la dysbiose à l’enfance et le développement futur de TND

Un enfant sur 6 serait touché par un trouble du neurodéveloppement (TND). Ces troubles qui incluent notamment, les troubles du spectre de l’autisme (TSA), le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), les déficiences intellectuelles et les troubles de la communication, sont associés à des répercussions profondes et durables sur la maturation du système nerveux central. Ils constituent un problème majeur de santé publique et ont un retentissement important sur la vie de famille et la société.

Il a été suggéré que des facteurs périnataux peuvent contribuer à la pathogénie des TND mais il n’existe à ce jour aucun biomarqueur spécifique validé. Il est admis que le microbiote intestinal joue un rôle central dans le métabolisme, la fonction immunitaire mais également l’homéostasie neuronale au travers par exemple de la synthèse de neurotransmetteurs. Toutefois, le lien entre le microbiote intestinal en début de vie et le développement cognitif de l’enfant reste mal compris. Bien que le sujet suscite un grand intérêt, les études prospectives à long terme sur le microbiote intestinal en début de vie et le développement futur d’un TND font défaut. Une large étude prospective suédoise a tenté d’apporter des éléments de réponse à ce sujet à partir de la cohorte de naissance ABIS (All Babies in Southeast Sweden).

Une cohorte prospective rassemblant plus de 17 000 enfants suivis sur 20 ans

ABIS est une étude de cohorte prospective, en population générale, à laquelle les parents de tous les enfants nés dans le sud-est de la Suède entre 1997 et 1999 ont été invités à participer. Sur les 21 700 familles sollicitées, 17 055 ont accepté de participer (78,6 %). Les parents ont rempli des questionnaires à la naissance puis à différents âges jusqu’au 19 ans de l’enfant. Les enfants ABIS ont également rempli des questionnaires à 8, 10-12 et 17-19 ans. Les données collectées comprenaient, entre autres, les antécédents médicaux familiaux, l’utilisation de médicaments, le régime alimentaire, le mode de vie, l’humeur et l’état d’esprit, l’environnement familial, les expositions environnementales et la vulnérabilité psychosociale.

Les questionnaires remplis par les parents alors que l’enfant était âgé de 0, 1, 3 et 5 ans ont été analysés pour la présente étude. Les derniers diagnostics pris en compte dans cette enquête ont été obtenus lorsque les participants ABIS étaient âgés de 21 à 23 ans. La cohorte ABIS présentait une répartition relativement équilibrée du sexe (48,2 % de sexe féminin, 51,8 % de sexe masculin). La majorité (89,2 %) des enfants avaient leurs deux parents nés en Suède. Les diagnostics psychiatriques ont été établis conformément au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM-IV ou DSM-V, en fonction de la date du diagnostic. Les codes de diagnostic pris en compte comprenaient les TSA, le TDAH, les troubles de la parole, et la déficience intellectuelle. Les biomarqueurs, y compris le métabolome et le lipidome du sérum du cordon ombilical, le génotypage HLA, la composition du microbiote intestinal (à l’âge d’1 an) ont été évalués. 

La convergence de biomarqueurs infantiles et de facteurs de risque associés au risque de développer un TND

Parmi les 16 440 enfants suédois suivis sur plus de 20 ans, 1 197 ont développé un TND. Des associations significatives entre différents facteurs de risque durant l’enfance et un diagnostic futur de TND ont été retrouvées, à savoir : la naissance prématurée, les infections durant l’enfance (notamment l’otite et l’eczéma au cours de la première année de vie), le tabagisme parental et le génotype HLA DR4-DQ8 (classiquement associé à l’incidence et à la gravité des maladies auto-immunes).

Des différences dans le microbiome intestinal et les métabolites, évalués à l’âge d’1 an, ont été observées chez les enfants qui développeront plus tard un TND. Par ailleurs, des niveaux inférieurs d’acide linolénique et des niveaux supérieurs de PFDA (Perfluorodecanoic acid) ont été observés dans le sérum de cordon des nouveaux nés diagnostiqués TSA plus tard dans leur vie.

Ces résultats suggèrent un lien étroit entre le développement neurologique, la fonction de la barrière intestinale et le système immunitaire. Le mécanisme proposé par les auteurs serait que, très tôt dans la vie, une phase inflammatoire, médiée par les bactéries intestinales, pourrait contribuer au risque de développer un TND.

Des limites à souligner

Malgré la taille conséquente de la cohorte étudiée, plusieurs limites sont à relever à savoir ; un diagnostic de TND qui n’a pas été basé sur des tests neuropsychologiques ; une population représentative uniquement des enfants nés en Suède entre 1997 et 1999 ; une analyse des fèces qui n’a été réalisée que sur 10,8 % de la cohorte ABIS. Enfin, malgré les efforts déployés pour contrôler les variables, des facteurs de confusion non mesurés peuvent avoir un impact sur les résultats et notamment sur la causalité présumée entre dysbiose mesurée à l’âge d’1 an et « diagnostic » de TND plus tard dans la vie.

En conclusion, la convergence des biomarqueurs infantiles et des facteurs de risque dans cette étude prospective et longitudinale sur une population à grande échelle établit les bases d’une prédiction et d’une intervention au début de la vie sur le développement neurologique. Des recherches supplémentaires sont toutefois indispensables sur d’autres populations pour valider les marqueurs identifiés et envisager des stratégies préventives ou thérapeutiques à proposer dès l’enfance pour réduire l’incidence des TND.

Dr Dounia Hamdi


Ahrens AP, Hyötyläinen T, Petrone JR, Igelström K, George CD, Garrett TJ, Orešič M, Triplett EW, Ludvigsson J. Infant microbes and metabolites point to childhood neurodevelopmental disorders. Cell. 2024 Apr 11;187(8):1853-1873.e15. doi: 10.1016/j.cell.2024.02.035. Epub 2024 Apr 3. PMID: 38574728.