Troubles alimentaires pédiatriques, une histoire de sens

Les troubles alimentaires pédiatriques ou TAP (en anglais, pediatric feeding disorders) peuvent être définis comme « une altération de la prise orale qui n’est pas adaptée à l’âge et qui est associée à un dysfonctionnement d’ordre médical, nutritionnel, psychosocial, et/ou des compétences en matière d’alimentation ». Les troubles alimentaires pédiatriques sont fréquents mais leur grande variabilité phénotypique, allant des enfants qui mangent peu à ceux qui présentent une sélectivité alimentaire sévère, reflète l’étendue des profils nosologiques associés.

Les études montrent que les TAP s’expriment souvent lorsque les nourrissons atteignent des stades nécessitant de nouvelles compétences, par exemple lors de la diversification alimentaire. Ils sont plus fréquents chez les enfants ayant des antécédents de maladies respiratoires ou digestives graves ou encore de troubles du neurodéveloppement tels que l’autisme. Les perturbations des perceptions sensorielles, caractérisées par des troubles de la perception visuelle, olfactive ou tactile des aliments, est un autre déterminant des troubles alimentaires pédiatriques.

Les troubles alimentaires pédiatriques recouvrent donc des étiologies et des diagnostics divers qui nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire. Cependant, les travaux portant sur l’évaluation diagnostique initiale de ces troubles par des équipes spécialisées en milieu ambulatoire sont rares. D’où l’intérêt d’une récente étude française dont le but était de décrire les signes cliniques liés au développement sensorimoteur et les troubles de l’alimentation associés chez des enfants âgés de 1 à 6 ans avec ou sans troubles de l’alimentation.

Une prise en charge pluridisciplinaire en ambulatoire

Dans cette étude de type cas-témoins, des enfants âgés de 1 à 6 ans ont été recrutés de façon consécutive entre janvier 2017 et février 2021 par l’unité pluridisciplinaire de traitements des troubles alimentaires pédiatriques de l’hôpital Robert Debré (Paris). Les patients présentant une encéphalopathie, un trouble neuro-métabolique sévère ou un syndrome génétique (suspecté ou confirmé) ont été exclus.

Le groupe contrôle était composé d’enfants qui ne présentaient pas de difficultés d’alimentation ou de maladies chroniques graves, recrutés dans une crèche et 2 jardins d’enfants. Les données portant sur les antécédents médicaux, l’examen clinique en lien avec le repas, la motricité orale, le développement neurologique et le traitement sensoriel, et la présence ou non de troubles fonctionnels digestifs (TFD) ont été enregistrées à partir de questionnaires standardisés remplis par l’équipe médicale (cas) ou les parents (témoins) et comparées entre les groupes.

Une exploration de l’environnement plus tardive et des troubles fonctionnels digestifs plus fréquents

Au total, 244 cas de TAP (âge moyen 3,42 [±1,47] ans) ont été comparés à 109 témoins (âge moyen : 3,32 [±1,17] ans). Les enfants présentant une sélectivité alimentaire ou une aversion sensorielle pour certaines catégories d’aliments constituaient la majorité du groupe des cas (environ 70 %). La plupart des enfants mangeaient à table et avec leurs parents, bien que cela soit plus fréquent dans le groupe témoin (82,08 % versus 99,07 %, P < 0,001). L’utilisation de distractions pendant les repas était beaucoup plus fréquente chez les enfants atteints de TAP (77,46 % versus 5,5 % ; P < 0,001), de même que les conflits pendant les repas.

Les auteurs ont rapporté que les groupes ne différaient pas au niveau de la coordination main-bouche ou de la capacité à saisir des objets. Cependant, les cas ont commencé à explorer leur environnement plus tardivement ; le fait de porter les objets à la bouche, en particulier, était moins fréquents dans le groupe des cas (32,92 % versus 94,44 % ; P < 0,001). Les troubles fonctionnels digestifs (constipation, reflux gastrointestinal, antécédents de coliques) et les signes d’hypersensibilité visuelle (1/5 des cas), olfactive (1/3 des cas), tactile (1/2 des cas) et orale (2/3 des cas) étaient significativement plus fréquents parmi les cas. Les résultats étaient similaires lorsque les enfants présentant un trouble du neurodéveloppement étaient retirés de l’analyse.

Un modèle biopsychosocial des « troubles alimentaires fonctionnels » du jeune enfant

Les profils cliniques des enfants présentant des troubles alimentaires sont variables et peuvent être associés à des affections organiques (maladie cœliaque, encéphalopathie, dysphagie, etc.) ou psychiatriques (dépression, anorexie infantile, etc.). D’autres enfants, comme ceux inclus dans cette étude, présentent des difficultés d’alimentation que l’on pourrait décrire comme « fonctionnelles » sans cause organique ou psychologique identifiée, et associées ou non à une « hyper réactivité  sensorielle », que les auteurs proposent de désigner par le terme de « troubles alimentaires fonctionnels du jeune enfant », en anglais « functional toddler feeding disorder ».

La principale caractéristique de ce trouble serait « la difficulté à gérer les stimuli sensoriels provenant des aliments, associée à un retard dans l’acquisition des compétences neuromotrices », bien qu’il n’y ait pas de certitude quant à savoir si ce retard de développement est la cause ou l’effet du trouble. Cette hyper réactivité sensorielle aurait, selon les auteurs, plusieurs étiologies incluant : une prédisposition génétique, des aspects psychosociaux (troubles mentaux chez les parents, retard d’introduction des aliments solides, etc.) ou encore des antécédents médicaux de type : naissance prématurée, chirurgie, intubation nasogastrique.

Dans cette étude de type cas-témoins incluant 244 enfants présentant des troubles alimentaires dits « fonctionnels », une évaluation initiale par une équipe pluridisciplinaire spécialisée a permis de conclure que les étapes normales de l’exploration de l’environnement (qui s’expriment souvent vers l’âge de 8 à 10 mois) sont altérées et que cela est souvent associé à des signes d’hyper réactivité  sensorielle et d’inconfort digestif.

Dr Dounia Hamdi


Bellaïche M, Leblanc V, Viala J and Jung C (2023) Oral exploration and food selectivity: A case-control study conducted in a multidisciplinary outpatient setting. Front. Pediatr. 11:1115787. doi: 10.3389/fped.2023.1115787