La dépression du post partum affecte de nombreuses femmes après la naissance de leur enfant. Lors de l’Enquête nationale périnatale 2021, menée en France, sur plus de 7000 femmes dépistées 2 mois après leur accouchement, près de 17 % présentaient une dépression du post-partum. (1) Selon de nombreux auteurs, ce chiffre est sans doute largement sous-estimé, et serait plus élevé si le dépistage était réellement pratiqué en routine. (2) Rappelons que la dépression paternelle est moins fréquente, mais n’est pas rare. (3) Contrairement au baby blues, la dépression du post-partum peut persister et entraîner des conséquences sur le développement de l’enfant.
L’interaction mère/nourrisson est perturbée par la dépression maternelle
Les interactions quotidiennes de l’enfant avec sa mère sont très nombreuses. Le contact visuel, les vocalises, le toucher, les sourires, les jeux, constituent l’interaction parent-enfant, support développemental pour le nourrisson. Ces échanges lui permettent de développer des compétences en termes de communications sociales et de réciprocité, lui apprenant à répondre à son tour aux sollicitations. Ces échanges peuvent être perturbés par la dépression maternelle. Les symptômes dépressifs de celle-ci font que la synchronie de l’interaction est altérée.
Ils empêchent la mère d’accorder le ton de sa voix aux vocalises et au comportement non verbal de son enfant, elle montre moins de sensibilité lors des échanges et moins d’expressions faciales positives. En réponse, le nourrisson modifie son comportement, réduit lui aussi ses expressions faciales positives, ses sourires. (3) Plusieurs profils de troubles ont été identifiés, et chez certains enfants le retrait domine, alors que d’autres se manifestent plutôt par des protestations, ce qui correspond aussi à la variabilité des profils de mères dépressives. (4)
Il a été noté qu’un père non dépressif, même s’il passe beaucoup de temps avec son enfant, ne « rattrape » pas ces effets délétères chez l’enfant. (3)
Différentes études indiquent que cette altération de l’interaction mère-enfant au cours des premiers mois de vie est déterminante pour le fonctionnement de l’enfant, plus que l’exposition de l’enfant aux symptômes dépressifs per se. Certaines données suggèrent par ailleurs que l’attitude de retrait du nourrisson pourrait en retour contribuer à la persistance des difficultés de communication et à la qualité des échanges. (4)
Des troubles du développement peuvent persister au long cours
Ces effets négatifs de la dépression sur l’interaction de la mère avec son nourrisson pendant les premiers mois de vie peuvent s’étendre et influencer le développement cognitif, social, émotionnel et physique de l’enfant. Des enfants à partir de 1 an, dont les mères ont présenté une dépression post-natale, présentent parfois une réduction du développement cognitif, significativement associé au niveau de dépression maternelle, et ce indépendamment du QI de la mère. (5)
Le développement émotionnel semble lui aussi affecté à long terme. Une étude menée sur des enfants de 19 mois montre que ceux dont la mère a présenté une dépression post natale peuvent disposer de moins de capacité de partage affectif et moins de sociabilité avec l’étranger, même lorsque la mère ne présente plus de dépression. Les enfants de femmes qui avaient été déprimées après la naissance présentent, entre 12 et 19 mois, une insécurité d’attachement plus importante et un risque supérieur de perturbations émotionnelles et cognitives. (6)
Des soins moins sécurisés, mais peu de conséquences sur la croissance
Les mères dépressives expriment plus de doutes quant à leur aptitude à nourrir correctement leur enfant et elles interrompent plus précocement l’allaitement. (7)
Par ailleurs, l’environnement des enfants de mère dépressive est parfois moins sécurisé. Ainsi, les enfants seraient plus souvent placés sur le ventre pour dormir, contrairement aux recommandations pour la prévention de la mort subite, moins souvent transportés en siège auto et l’usage de cache-prises serait moins fréquent dans le foyer. (7)
Concernant les conséquences de la dépression maternelle sur la croissance de l’enfant de 0 à 3 ans, les données sont contradictoires. L’impact pourrait être différent selon l’âge de l’enfant et le contexte socio-économique. Dans les pays industrialisés, la dépression du post-partum semble avoir peu d’influence sur le poids et la taille de l’enfant (7). A contrario, d’autres travaux montrent un impact sur la croissance du nouveau-né jusqu’à 4 mois, quel que soit le contexte socio-économique. (8) L’influence de la dépression maternelle sur le développement moteur de l’enfant n’est pas non plus établie, les résultats étant là aussi contradictoires.
Le dépistage précoce ouvre la voie à la prévention
Ces conséquences possibles justifient une amélioration de l’identification et de la prévention de la dépression post-natale. Le dépistage précoce pendant la grossesse permet d’identifier les femmes à risque de dépression du post-partum. Depuis 2006, un entretien individuel ou en couple est proposé aux femmes enceintes, au 4ème mois de grossesse (Préparation à la naissance et à la parentalité). (9) Depuis juillet 2022, un entretien postnatal précoce est aussi proposé, mené par une sage-femme ou un médecin entre la 4ème et la 8ème semaine après l’accouchement. (10) Ces consultations doivent être des moments privilégiés pour faciliter l’expression par les parents de leur état psychologique.
Plusieurs outils ont été élaborés pour faciliter le dépistage. L’échelle EPDS (Edinburgh Postnatal Depression Scale) est un outil utile, simple d’utilisation et internationalement reconnu. Il est côté de 0 à 30 et une étude récente indiquait qu’une valeur seuil de 11 ou plus combine une bonne sensibilité (81 %) et une bonne spécificité (88 %). Une valeur-seuil de 13 ou plus est moins sensible (66 %) mais plus spécifique (95 %). Pour les auteurs, le seuil de 13 peut être utilisé en pratique clinique pour identifier une dépression du post-partum. Un seuil plus bas sera choisi si l’on souhaite éliminer des faux négatifs. (11)
L’intérêt du dépistage est d’améliorer la prévention en repérant les femmes à risque et en leur proposant une prise en charge. Il permet aussi d’identifier les dépressions subcliniques. Les récents travaux semblent indiquer que le traitement de la dépression du post-partum, s’il est efficace pour la mère, n’évite pas toujours la persistance de perturbations dans l’interaction mère-enfant, suggérant que le traitement de la dépression maternelle seule n’est pas suffisant. De plus en plus d’auteurs soulignent l’intérêt de l’observation de la dyade mère-enfant, permettant de mettre en place des interventions rapides impliquant cette dyade, vers le 2ème mois de vie. Des psychothérapies, basées sur les théories de l’attachement, ont un impact positif sur les parents et les interactions avec l’enfant, permettant de réduire l’impact de la dépression maternelle. (12)
Pour aller plus loin : https://pro.laboratoire-gallia.com//prevention-depression-postpartum/
La connaissance des possibles conséquences de la dépression du post-partum sur le développement de l’enfant est essentielle pour sensibiliser les parents et les familles et encourager les mères et/ou les pères à exprimer leurs difficultés. Les professionnels de santé doivent de leur côté se mobiliser pour le dépistage systématique et une prise en charge précoce d’éventuels troubles de l’interaction parents-enfant.
Dr Roseline Péluchon
- Enquête nationale périnatale – Rapport 2021 – Inserm et Santé Publique France.
- Takács L, et al. The effects of pre- and post-partum depression on child behavior and psychological development from birth to pre-school age: a protocol for a systematic review and meta-analysis. Syst Rev. 2020 Jun 19;9(1):146. doi: 10.1186/s13643-019-1267-2.
- Field T. Postpartum depression effects on early interactions, parenting, and safety practices: a review. Infant Behav Dev. 2010 Feb;33(1):1-6. doi: 10.1016/j.infbeh.2009.10.005.
- Murray L et al. Postpartum depression and child development. Psychol Med. 1997 Mar;27(2):253-60. doi: 10.1017/s0033291796004564.
- Lyons-Ruth K, et al. The depressed mother and her one-year-old infant: environment, interaction, attachment, and infant development. New Dir Child Dev. 1986 Winter;(34):61-82. doi: 10.1002/cd.23219863407.
- Stein A, et al. The relationship between post-natal depression and mother-child interaction. Br J Psychiatry. 1991 Jan;158:46-52. doi: 10.1192/bjp.158.1.46.
- Slomian J. et coll. : Consequences of maternal postpartum depression: A systematic review of maternal and infant outcomes Womens Health (Lond). 2019 Jan-Dec;15:1745506519844044. doi: 10.1177/1745506519844044
- Wright CM, Parkinson KN, Drewett RF. The influence of maternal socioeconomic and emotional factors on infant weight gain and weight faltering (failure to thrive): data from a prospective birth cohort. Arch Dis Child. 2006 Apr;91(4):312-7. doi: 10.1136/adc.2005.077750.`
- Recommandations HAS – Préparation à la naissance et à la parentalité – 2005
- Service Public – Prévention des dépressions post-partum : un entretien postnatal précoce est désormais obligatoire
- Levis B. et al. – Accuracy of the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) for screening to detect major depression among pregnant and postpartum women: systematic review and meta-analysis of individual participant data – BMJ 2020;371:m4022
- Muzik M, et al. When depression complicates childbearing: guidelines for screening and treatment during antenatal and postpartum obstetric care. Obstet Gynecol Clin North Am. 2009 Dec;36(4):771-88, ix-x. doi: 10.1016/j.ogc.2009.10.006.