La carence martiale du nourrisson

La carence en fer est la carence nutritionnelle la plus fréquente de la planète. En Europe, environ un jeune enfant sur dix et un adolescent sur quatre en sont atteints. En dehors de situations particulières, elle peut être évitée simplement en respectant des apports nutritionnels adéquats fonction de l’âge de l’enfant.

Le fer est un des oligo-éléments les plus importants de l’organisme. Il provient exclusivement de l’alimentation où il existe sous deux formes :(1)

  • Une forme libre (fer non héminique) présente dans les aliments de source végétale, dans le lait, les produits laitiers et les œufs. Sa biodisponibilité est faible (2-5 %) et elle est influencée par les constituants du bol alimentaire.
  • Une forme liée à l’hème (fer héminique) présente dans les aliments d’origine animale (viande, poissons, …). Elle est facilement absorbée avec une biodisponibilité de 20-30 % qui ne dépend pas du bol alimentaire.

Une fois absorbé au niveau du duodénum, le fer est transporté (par la transferrine) dans la circulation sanguine pour être distribué à toutes les cellules où il assure diverses fonctions (métabolisme, production d’énergie, synthèse d’ADN, transport de l’oxygène). Il intervient par exemple dans le développement et le fonctionnement du cerveau en participant à la formation de la myéline et au développement des dendrites neuronales. (1)

L’insuffisance d’apports en fer est la principale cause de carence martiale 

Les études de prévalence de la carence en fer distinguent la déplétion martiale (baisse isolée de la ferritinémie) et l’anémie par carence martiale (baisse concomitante de la ferritinémie et de l’hémoglobinémie). La prévalence globale de la déplétion martiale est de 7 à 18 % chez les nourrissons et jeunes enfants. Celle de l’anémie par carence martiale est estimée à 2-8,5 % dans cette même population. (2) En Europe, la déplétion martiale touche 5 à 40 % des enfants de 12 à 18 mois et l’anémie par carence martiale 2 à 10 % des enfants du même âge. Elle reste rare avant l’âge d’un an. (3)

L’insuffisance d’apports (du fait d’un régime alimentaire inadapté) est la principale cause de carence martiale. D’autres situations peuvent également entraîner une carence en fer comme une malabsorption intestinale, des saignements chroniques ou des besoins augmentés. (4)

Les conséquences de la carence martiale sont importantes notamment sur le développement psychomoteur et les capacités cognitives, du fait du rôle essentiel du fer dans le développement cérébral (myélinogenèse et synaptogenèse), ainsi que sur le développement immunitaire. Ces effets délétères sont d’autant plus importants que la carence est précoce d’où la nécessité de prévenir ces situations par des apports nutritionnels adaptés à l’âge de chaque enfant. (5)

Apports en fer : à chaque âge ses besoins spécifiques

Les besoins recommandés en fer absorbé sont de : (3)

  • 0,20 mg/j de 0 à 6 mois
  • 1,1 mg/j de 7 à 11 mois
  • 0,7 mg/j de 1 à 6 ans 

Ces besoins ont été déterminés par la méthode factorielle qui consiste à faire la somme des besoins nécessaires à la compensation des pertes quotidiennes et de ceux nécessaires à la croissance. A partir de ces besoins en fer absorbé sont estimés des besoins en fer ingéré (en définissant un coefficient d’absorption probabiliste pour tenir compte de la grande variabilité de l’absorption du Fer selon le type d’aliment qui en contient). Des apports nutritionnels conseillés (ANC) peuvent alors être définis, en ajoutant aux besoins en fer ingéré deux écarts types à la moyenne dans l’objectif d’assurer les besoins de 97,5 % de la population considérée. (3)

Le saviez-vous ?(3)

Alors qu’elle est rare avant 1 an, la carence martiale est beaucoup plus fréquente après 1 an en raison principalement d’un abandon des préparations infantiles au profit du lait de vache, beaucoup moins « contributeur » en fer.

Équivalences alimentaires moyennes en termes de fer absorbé
1 mg de fer absorbé =
5,7 L de lait de femme
57 L de lait de vache
1 100 mL de lait pour nourrissons
740 mL de lait de suite
510 mL de lait de croissance
17 g de boudin noir
80 g de foie de veau
130 g de viande de bœuf
190 g de viande d’agneau
360 g de viande de porc
800 g de poisson
1 kg de blanc de poulet
1,3 kg d’épinards
1,5 kg d’œufs
1,7 kg de haricots blancs
14 kg de fruits

La diversification alimentaire et les formules infantiles, indispensables pour atteindre les besoins en fer

Si les réserves en fer à la naissance sont suffisantes pour couvrir les besoins au cours des six premiers mois de vie (pour les enfants nés à terme tout du moins), la diversification alimentaire et les formules infantiles (toutes enrichies en fer) sont indispensables pour atteindre les besoins en fer. Afin d’atteindre ces objectifs, un groupe de travail de la Société Française de Pédiatrie a proposé en 2017 les prises en charge suivantes : (3)

  • L’alimentation de certains nourrissons exclusivement ou majoritairement allaités au sein doit être diversifiée dès l’âge de 4 mois avec des aliments riches en fer, tout en maintenant au moins 4 tétées par jour.
  • Entre 7 et 11 mois, la consommation de produits carnés étant faible, les préparations de suite représentent quasiment la seule source de fer. Ces nourrissons doivent ingérer au moins 700 ml/j de préparation de suite (répartis en 2 ou 3 biberons quotidiens). Pour ceux en allaitement maternel exclusif ou mixte, une supplémentation martiale doit être prescrite en fonction du volume de préparation de suite ingéré.
  • Un enfant âgé de 1 à 6 ans peut trouver les 0,7 mg/j de fer absorbé dont il a besoin dans 360 ml de lait de croissance, 90 g de bœuf, 130 g d’agneau, 230 g de veau, 250 g de porc, 1 kg d’épinards ou 1,25 kg de légumes secs. A l’exception des grands consommateurs de viande, ce groupe de travail recommande la consommation d’au moins 300 ml/j de lait de croissance et 20 g/j de viande. Ce jusqu’à ce que ces enfants soient en mesure de consommer 100 à 150 g/j de produits carnés répartis en 2 portions quotidiennes (soit le plus souvent au-delà de 3 ans).

Carence martiale et consommation de formules infantiles :
Les résultats de l’étude transversale CARMA menée dans des cabinets de pédiatres en France de 2016 à 2017 a montré que sur 561 nourrissons âgés de 24 mois, 6,6 % (IC 95 % ; 4,7-9,0) souffraient d’une carence martiale. L’apport quotidien en fer (hors formules infantiles) et l’apport quotidien total en fer (incluant les formules infantiles enrichies en fer) étaient inférieurs aux besoins moyens recommandés pour 63 % et 18 % des enfants, respectivement. La fréquence de la carence martiale était significativement réduite pour toute consommation de formule infantile après 10 mois, la consommation actuelle de formule infantile à l’âge de 24 mois, une consommation prolongée de formule infantile et une augmentation du volume quotidien de formule infantile à l’âge de 24 mois. (6)

A noter qu’il n’y a pas de risques connus chez l’enfant à consommer des quantités importantes d’aliments riches en fer.

Les enfants à risque de carence en fer doivent être dépistés

La carence martiale doit être dépistée chez les enfants à risque, à savoir : les prématurés et petits poids de naissance, ceux en allaitement exclusif prolongé, en cas de pertes sanguines anormales, les enfants de migrants ou ceux issus de milieu socioéconomique défavorisé, ou encore en cas d’introduction précoce du lait de vache. (4)

La baisse de la ferritine sérique est le signe le plus précoce de la carence martiale, en l’absence d’inflammation, d’hémolyse ou d’atteinte hépatique associée. Les seuils de ferritinémie proposés par l’Organisation Mondiale de la Santé pour le diagnostic de la carence martiale sont : 12 μg/L pour les enfants de moins de 5 ans (augmenté à 30 μg/L en contexte inflammatoire) et 15 μg/L au-delà. En pratique clinique, ce dosage peut être associé à celui de la protéine C réactive (CRP). (7)

En dehors de situations particulières, la carence mariale peut être évitée simplement en respectant des apports nutritionnels adéquats. Les professionnels de santé ont un rôle central dans l’information et l’éducation des parents pour une alimentation équilibrée et adaptée à l’âge de leur enfant. Le lait de vache, pauvre en fer, ne doit pas remplacer les formules infantiles qui, elles, doivent être consommées jusqu’à l’âge de 3 ans.


Références :

1. S. Vaulont, Métabolisme du fer, Archives de Pédiatrie, Volume 24, Issue 5, Supplement, 2017, Pages 5S32-5S39, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/S0929-693X(17)24007-X.
2. C. Dupont, Prévalence de la carence en fer, Archives de Pédiatrie, Volume 24, Issue 5, Supplement, 2017, Pages 5S45-5S48, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/S0929-693X(17)24009-3.
3. P. Tounian, J.-P. Chouraqui, Fer et nutrition, Archives de Pédiatrie, Volume 24, Issue 5, Supplement, 2017, Pages 5S23-5S31, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/S0929-693X(17)24006-8.
4. J.-P. Olives, Causes des déficits en fer chez l’enfant, Archives de Pédiatrie, Volume 24, Issue 5, Supplement, 2017, Pages 5S2-5S5, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/S0929-693X(17)24002-0.
5. L. Vallée, Fer et neurodéveloppement, Archives de Pédiatrie, Volume 24, Issue 5, Supplement, 2017, Pages 5S18-5S22, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/S0929-693X(17)24005-6.
6. Sacri AS et coll. Young children formula consumption and iron deficiency at 24 months in the general population: A national-level study. Clin Nutr. 2021 Jan;40(1):166-173. doi: 10.1016/j.clnu.2020.04.041.
7. Thuret, Diagnostic biologique de la carence martiale chez l’enfant, Archives de Pédiatrie, Volume 24, Issue 5, Supplement, 2017, Pages 5S6-5S13, ISSN 0929-693X, https://doi.org/10.1016/S0929-693X(17)24003-2.