Intolérances alimentaires et troubles digestifs chez l’enfant : l’ESPGHAN fait le point sur la pertinence des tests respiratoires

Les tests respiratoires sont fréquemment utilisés en gastroentérologie pédiatrique car ils sont non invasifs, peu coûteux et peuvent être mis en place relativement facilement pour diverses indications, mais leur interprétation peut être difficile. En l’absence d’une approche systématique de l’utilisation de ces tests chez l’enfant, l’ESPGHAN (European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition) a publié la présente prise de position dans le but de fournir des conseils d’experts sur le sujet.

Pour ce faire, 9 questions cliniques concernant la méthodologie, l’interprétation et les indications spécifiques de ces tests ont été abordées par les membres du comité de gastroentérologie de l’ESPGHAN constitué de gastro-pédiatres et de diététiciens. Une recherche systématique dans la littérature publiée entre 1983 et 2020 a été réalisée en utilisant les bases de données : PubMed, MEDLINE et la Cochrane Database of Systematic Reviews. Les résultats ont été évalués à l’aide d’un système de gradation des recommandations et toutes les recommandations ont été discutées et finalisées lors d’une réunion de consensus. En l’absence de preuves issues d’essais contrôlés randomisés, les recommandations reflètent l’opinion experte des auteurs.

Des conditions de test à maitriser pour une meilleure interprétation des résultats

Les tests à l’hydrogène expiré ou HBT (Hydrogen Breath Test) sont les plus utilisés pour évaluer l’intolérance à certains glucides ou diagnostiquer le SIBO (ou pullulation microbienne de l’intestin grêle). Le test HBT est basé sur la mesure par chromatographie ou par électrochimie de l’hydrogène expiré après ingestion d’une dose de charge de glucides. C’est en majorité les bactéries anaérobies coliques (chez le sujet sain) ou de l’intestin grêle (chez le sujet malade) qui produisent de l’hydrogène par fermentation des glucides non digérés. En fonction du glucide ingéré par le patient au début du test, plusieurs conditions physiologiques ou pathologiques peuvent être explorées. Plusieurs paramètres doivent être considérés pour réduire la variabilité ou le taux de faux positifs ou faux négatifs. Le niveau de base de l’hydrogène expiré est de 7 ± 5 ppm (parties par million). Si ce niveau de base est > 10 ppm, le test à l’hydrogène expiré ne peut pas être réalisé. Enfin, les symptômes cliniques (état général, symptômes digestifs et neurologiques) devraient toujours être collectés afin de mieux analyser les résultats des tests. Certains facteurs pouvant influencer les résultats du test HBT, l’ESPGHAN recommande, dans la mesure du possible :

  • d’arrêter les antibiotiques, probiotiques et laxatifs au minimum 4 semaines avant le test,
  • de ne pas fumer ni faire de l’exercice physique avant et pendant le test,
  • d’être à jeun de > 12 heures chez l’enfant ou > 6 heures chez le nourrisson de plus de 6 mois,
  • d’éviter les aliments fermentescibles (exemples : haricots, farine de blé et d’avoine, pommes de terre et maïs) la veille du test,
  • de réaliser un test mesurant le méthane intra-luminal en plus de la mesure de l’hydrogène expiré pour améliorer la précision du test HBT en particulier chez les patients H2 négatifs.

Comme tout test, l’interprétation correcte des résultats nécessite de suivre une méthodologie rigoureuse à commencer par la dose de glucides à ingérer par le patient. Chez l’adulte, les doses recommandées de lactulose, glucose, fructose et lactose sont de : 10, 75, 25 et 50 g, respectivement. Chez l’enfant, les auteurs reconnaissent que peu de publications sont disponibles à ce sujet. Ils recommandent une dose de 1g/kg (dose max de 50 g) pour le lactose et le glucose jusqu’à la publication de nouvelles preuves sur le sujet.

L’interprétation du test HBT est basée sur 3 facteurs : le niveau de H2 expiré, les symptômes cliniques, et les changements de ces deux paramètres tout au long du test. En bref, les experts recommandent :

  • qu’une augmentation de plus de 20 ppm du niveau de base en hydrogène durant le test soit considérée comme un résultat positif pour le fructose et le lactose.
  • qu’une augmentation de plus de 20 ppm du niveau de base en hydrogène à 90 min devrait être considéré comme un test positif pour un diagnostic de SIBO.
  • qu’en l’absence de troubles de la motilité gastro intestinale, si le niveau de base en hydrogène expiré est supérieur à 20 ppm, le test devrait être arrêté et reprogrammé

Quelle place dans l’évaluation de l’intolérance aux glucides ?

L’intolérance au lactose est très fréquente (75 % de la population mondiale). Elle est caractérisée par l’incapacité des patients à digérer le lactose. Elle peut être primaire (liée à la décroissance de l’activité de la lactase à partir de l’âge de 2 ans) ou secondaire à une pathologie intestinale comme une maladie cœliaque, une maladie de Crohn ou encore une gastroentérite aiguë. L’intolérance congénitale au lactose est extrêmement rare. Les symptômes évocateurs d’une intolérance au lactose apparaissent quelques heures après l’ingestion du lactose et incluent : des douleurs abdominales, nausées et vomissements, météorismes, gargouillements, diarrhée. L’intolérance au lactose d’origine primaire est souvent retrouvée chez des enfants qui se plaignent de douleurs abdominales chroniques, mais le lien de causalité n’est pas toujours établi. Au total, 5 méthodes sont disponibles pour le diagnostic de l’intolérance au lactose, incluant le HTB, mais aucune n’est recommandée en routine. La prise en charge de l’intolérance primaire consiste en une exclusion stricte des produits laitiers durant 2-4 semaines. Après disparition des symptômes, une réintroduction graduelle et individualisée des produits laitiers pauvres en lactose peut être entreprise. Une supplémentation en calcium est nécessaire durant le régime d’éviction.

La malabsorption du fructose doit être distinguée de l’intolérance héréditaire au fructose qui est une maladie autosomique récessive rare (1/25000 personnes). La malabsorption du fructose peut être d’origine primaire ou secondaire et peut se manifester par une gêne abdominale et des diarrhées, qu’il est difficile de distinguer des troubles fonctionnels digestifs (TFD). La place du test HBT dans le diagnostic des douleurs abdominales liées aux TFD est controversé. Le traitement de la malabsorption du fructose consiste en une réduction des apports en fructose < 10 g/jour avec une exclusion stricte des composés polyol, très souvent utilisés comme additifs alimentaires comme le sorbitol ou le mannitol. 

Les tests respiratoires ne sont pas recommandés pour le diagnostic du déficit congénital en sucrase-isomaltase ni pour évaluer la malabsorption de sorbitol, mannitol et xylose qui peut être secondaire à une altération de l’intégrité de l’intestin grêle.

Un outil précieux pour le diagnostic du SIBO

Le SIBO est caractérisé par des signes GI et des symptômes liés à une concentration excessive de bactéries dans l’intestin grêle. Cette pullulation microbienne peut résulter de l’altération de la motilité ou de l’intégrité de l’intestin grêle, de la sécrétion pancréatique et biliaire, de l’immunité systémique ou locale ou en cas de réduction de l’acidité gastrique. Les symptômes sont non spécifiques (perte d’appétit, nausées, diarrhées, distension abdominale) et d’expression variable selon les individus pouvant conduire à une dénutrition et à la cassure de la courbe de croissance. Le traitement repose sur une antibiothérapie à spectre large, mais les données restent limitées pour établir une dose et une durée optimales. Le test HBT après ingestion de glucose ou de lactulose sont les tests les plus couramment utilisés pour le diagnostic de SIBO. Ils sont recommandés en cas de :

  • symptômes GI non spécifiques et d’un terrain prédisposant au SIBO,
  • symptômes digestifs associés à des troubles fonctionnels digestifs comme un syndrome de l’intestin irritable et sous traitement par IPP.

Le test HBT est considéré comme positif en cas d’augmentation de plus de 20 ppm à partir du niveau de base (à 90 min). Pour le test au méthane, le cut off est à 10 ppm.  

Evaluer l’efficacité de l’éradication d’H. pylori

Helicobacter pylori, une bactérie gram négatif qui colonise la muqueuse gastrique, est la cause majeure de gastrite chronique, d’ulcère gastro-duodénal, d’adénocarcinome gastrique et de lymphome MALT (mucosa-associated lymphoid tissue) chez les enfants et les adultes. La prévalence de cette infection est très variable dans le monde. Chez les enfants, elle est estimée à 2,5 % au Japon et 34,6 % en Éthiopie. Le dépistage généralisé de cette infection n’est pas recommandé. Il n’est effectué qu’en présence de symptômes type vomissements, douleurs abdominales persistances et saignements GI sur coupes histologiques obtenues après œsophagogastroduodénoscopie. Le test à l’urée (13C-urée) expiré est un test non invasif recommandé pour l’évaluation de l’efficacité du traitement d’éradication de H. pylori chez les enfants de plus de 2 ans (à réaliser 2 semaines après l’arrêt des IPP et 4 semaines après l’arrêt des antibiotiques). Il est basé sur l’ingestion d’urée marquée à un isotope 13C ; si H. pylori est présent, l’urée est dégradée par l’uréase bactérienne ce qui libère du CO2 marqué au 13C.

En bref, les experts retiennent les indications pour les tests respiratoires :

TestDose de chargeIndicationsContre-indication absolueRecommandations des experts
H2-lactose1 g/kg (max 50 g)Intolérance au lactoseHypoglycémie post prandiale connue ou suspectéeNon recommandée dans l’investigation des douleurs abdominales liées à des troubles fonctionnels digestifs (TFD)
H2-fructose0,5 g/kg (max 25 g)Malabsorption du fructoseIntolérance héréditaire au fructose ; Hypoglycémie post prandiale connue ou suspectéeNon recommandée dans l’investigation des douleurs abdominales liées à des TFD
H2-glucose1 g/kg (max 50 g)SIBOHypoglycémie post prandiale connue ou suspectéeDiagnostic du SIBO
H2-lactulose10 gSIBO, temps de transit oro-cæcal (TTOC)Hypoglycémie post prandiale connue ou suspectéeRecommandée pour le diagnostic du SIBO mais pas pour la mesure du TTOC
13C-urée50 mg si inf 50 kg ; 75 mg si sup 50 kgGastrite à H. pylori4-6 semaines après un traitement ATB et 2 semaines après traitement IPPRecommandée pour évaluer le succès de l’éradication de H. pylori
13C-mix de triglycérides10-20 mg/kg si inf 30 kg ; 5 mg/kg si sup 30 kg. Dans un repas liquide contenant 0,7 g/kg de matières grassesInsuffisance pancréatique exocrine (IPE) Recommandé pour le dg et le monitoring du traitement de l’IPE sévère

Pour finir, les experts rappellent que les tests à l’hydrogène expiré ne sont pas recommandés pour le diagnostic ni le suivi de la maladie cœliaque en raison d’un manque de spécificité et de la disponibilité de tests sérologiques plus performants.


Dr Dounia Hamdi

Broekaert IJ, Borrelli O, Dolinsek J, et al. An ESPGHAN Position Paper on the Use of Breath Testing in Paediatric Gastroenterology. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2022;74(1):123-137. doi:10.1097/MPG.0000000000003245.