La naissance ne concerne pas uniquement le nouveau-né, mais également son écosystème intestinal dont la mise en place peut être perturbée au moment de l’accouchement par césarienne, mode de délivrance qui pourrait conférer une plus grande susceptibilité de développer certaines maladies dans l’enfance ou à l’âge adulte : obésité, allergies, maladies auto-immunes ou pathologies infectieuses. Analyse et explications par le Dr Alexis Mosca, gastro-pédiatre à l’hôpital Robert-Debré (Paris).
À ce jour, 5 000 espèces bactériennes constituant le microbiote intestinal ont été identifiées, réparties en 25 phyla (1). Environ 80 % du * sont cartographiés (1). Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg car de nombreuses espèces bactériennes demeurent inconnues. Vingt pour cent des séquences ADN ne correspondent pas à celles d’espèces connues et 40 % des gènes ne correspondent pas à des gènes de fonction (1).
Il n’existe pas de définition universelle de la dysbiose. Toutefois, il est communément admis qu’elle peut être caractérisée par une réduction de la diversité bactérienne avec perte de bactéries commensales bénéfiques (symbiontes) et augmentation de germes potentiellement nocifs (pathobiontes). L’une des études fondatrices qui l’a constaté est chinoise, faisant ressortir la zone géographique comme facteur majeur influençant la composition du microbiote intestinal (2), loin devant l’âge, l’alimentation, l’IMC, etc. par exemple, la dysbiose constatée chez un diabétique de type 2 diffère selon le lieu de vie. « À ce jour, personne n’est en mesure de définir les critères d’un microbiote normal, indique le Dr Alexis Mosca, en dehors du fait qu’il s’agisse d’un microbiote adapté à son hôte en bonne santé. Un microbiote est défini par son état d’équilibre qu’un voyage, une infection, etc. peuvent perturber (3). Celui-ci peut alors revenir à son état d’origine ou s’installer dans un état dysbiotique si la perturbation est trop importante (des cures d’antibiotiques (4), par exemple) ou si l’état de base est instable, ce qui est le cas chez l’enfant. »
Le développement du microbiote intestinal du nourrisson va déterminer un état de base, lequel sera plus ou moins stable. S’il est perturbé précocement, lors de la période – vulnérable – de développement (qui dure environ jusqu’à l’âge de 3 ans), cela produit des effets rémanents du fait de cette instabilité de l’état de base du microbiote. La puissance de la perturbation entre en ligne de compte avec, à l’âge adulte, la résilience d’un état dysbiotique (5).
L’implantation du microbiote intestinal du nouveau-né peut influencer la santé de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra
Les nouveau-nés d’aujourd’hui possèdent un microbiote beaucoup moins diversifié que ceux nés il y a plus de 10 000 ans ; un appauvrissement surtout constaté au siècle dernier (6). Par exemple, 9 bébés sur 10 manquent de la souche B. infantis (7), alors que tous devaient être colonisés au début du 20e siècle. C’est probablement corrélé avec le risque de développer un diabète de type 1 (8), un asthme ou une maladie de Crohn.
« Il y a une hérédité du microbiote intestinal qui pourrait être dysbiotique, explique le Dr Mosca. Le microbiote d’enfants de mères obèses, dysbiotique, augmente le risque de stéatose hépatique non alcoolique chez la souris (9). Autrement dit, hériter d’un microbiote dysbiotique pourrait prédisposer un individu à développer des maladies plus tard dans la vie. L’une des hypothèses est que le microbiote modifierait l’épigénétique de l’individu. »
De plus, un effet transgénérationnel d’une alimentation pauvre en fibres sur la composition du microbiote a été montré chez l’animal (10). Afin de retrouver le microbiote des ancêtres, l’unique solution serait de réensemencer en souches probiotiques associé à un régime avec des fibres. « Cela signifie que pour modifier le microbiote intestinal, il ne suffit pas de donner des souches bactériennes, ou d’ajouter des prébiotiques, mais d’avoir une approche globale », résume-t-il.
L’émergence du microbiote intestinal à la naissance répond à une mise en place non stochastique : des règles écologiques régissent la mise en place du microbiote chez l’enfant. Du premier jour de vie jusqu’à l’âge de 3 ans, le microbiote sera composé d’une majorité de souches anaérobies facultatives qui feront le lit d’espèces persistantes : des souches anaérobies strictes (11). L’ordre de colonisation revêt toute son importance dans la composition finale, les premières espèces étant favorisées sur le long terme (12). Lors d’une césarienne, les premières espèces colonisatrices différeront par rapport à un accouchement par voie basse, avec un retard d’implantation des bactéries d’origine maternelle telles que les bifidobactéries . Ensuite, tous les facteurs de l’environnement influenceront la mise en place du microbiote, en plus d’hériter du microbiote de la mère potentiellement dysbiotique, des règles écologiques et les facteurs liés à l’hôte que sont la génétique (2 % seulement des variations de la composition du microbiote intestinal s’expliquent par la génétique), le mode d’accouchement (césarienne ou voie basse), le mode d’allaitement (maternel ou artificiel), l’environnement, les antibiotiques, la transition alimentaire, puis le régime alimentaire qui se rapproche progressivement de celui d’un adulte entre 1 et 3 ans (13).
Cas clinique : une femme ayant accouché par césarienne consulte pour sevrer son bébé de deux mois de l’allaitement au sein. Quel est l’intérêt de lui donner un lait contenant des pré- et/ou probiotiques ?
Il n’y a pas de recommandation à propos de la composition en probiotiques du lait infantile à privilégier. Cependant, à partir des études précliniques et conceptuelles, cela a plus sens de donner des laits ayant des synbiotiques, une dysbiose précoce pouvant exposer à des pathologies, en particulier auto-immunes
Le mode d’accouchement : une empreinte à long terme
Les enfants nés pas césarienne ont un microbiote plus proche du microbiote cutané de la mère, alors que celui de ceux nés pas voie basse se rapproche du microbiote vaginal (14). Cette empreinte, en termes d’espèces bactériennes, persiste dans le temps : le microbiote des enfants nés pas césarienne met plus d’un mois à retrouver une composition similaire à celui des enfants nés par les voies naturelles (15). Les expériences d’ensemencement vaginal (on passe une compresse ayant été dans le vagin de la mère sur le visage du nouveau-né) permettent de rapprocher la composition du microbiote de l’enfant de celui d’un enfant né par voie basse (16). « L’empreinte s’efface mais reste présente pendant le premier mois de vie, avec des différences concernant les gènes de fonction, précise Alexis Mosca. En outre, selon les expériences, ces microbiotes dysbiotiques modulent l’expression du système immunitaire avec des effets phénotypiques, observés chez la souris, notamment sur le système inflammatoire avec une surproduction d’anti-TNF alpha (17). Les études de cohortes chez l’humain ont montré des associations entre le fait d’être né par césarienne et le risque d’asthme (surrisque de 20 %) et de diabète de type 1, principalement des maladies de type dysimmunitaire (18-20). Cela augmenterait le seuil de susceptibilité à ces pathologies. »
Comment agir ?
Prébiotiques, probiotiques, transplantation fécale, les solutions existent pour rétablir une dysbiose. La révision 2017 des recommandations de l’ESPGHAN de 2011 (21) de ce même texte précise que certains effets cliniques bénéfiques des formules supplémentées en probiotiques et/ou prébiotiques sont possibles. Cependant, il n’y a aucune preuve solide existante pour recommander leur utilisation de routine.
« C’est un paradoxe, car l’implantation du microbiote a probablement des effets sur la santé à long terme, explique le Dr Mosca. S’il est difficile de formuler aujourd’hui des recommandations, c’est, d’une part, parce que les compléments alimentaires ne sont pas soumis aux règles de l’AMM et, d’autre part, parce qu’il est difficile de faire varier un microbiote stabilisé dans un état de dysbiose. L’idée est d’aller vers une approche personnalisée. » En effet, des études ont montré qu’il faut, au-delà de l’implantation simple de souches, tenir compte de la niche écologique , qui permet aux souches importées de s’implanter (22, 23). « Cela signifie que pour une souche probiotique que l’on pense d’intérêt, poursuit-il, il est probable qu’il faille plutôt agir avec des synbiotiques, c’est-à-dire l’association du probiotique et de son substrat. Ceci a été vérifié chez des enfants en milieu rural vis-à-vis de la morbi-mortalité infectieuse avec le synbiotique Lactobacillus plantarum + fructo-oligosaccharide. Il s’agit d’une preuve de concept clinique (24) : si l’on modifie précocement le microbiote, au moyen d’un synbiotique, même sur une courte durée, on peut agir sur le risque infectieux. À l’avenir, la modulation du microbiote intestinal passera peut-être par une approche personnalisée, tenant compte de l’écologie bactérienne de l’individu. »
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*ensemble des gènes portés par les bactéries intestinales
Références :
1. Thomas AM, Segata N. Multiple levels of the unknown in microbiome research. BMC Biol. 2019;17(1):48..
2. He Y, Wu W, Zheng HM et al. Regional variation limits applications of healthy gut microbiome reference ranges and disease models. Nat Med. 2018;24(10):1532-5
3. David LA, Materna AC, Friedman J et al. Host lifestyle affects human microbiota on daily timescales. Genome Biol. 2014;15(7):R89.
4. Dethlefsen L, Relman DA. Incomplete recovery and individualized responses of the human distal gut microbiota to repeated antibiotic perturbation. Proc Natl Acad Sci USA. 2011;108 Suppl 1:4554-61
5. Sommer F, Anderson JM, Bharti R, Raes J, Rosenstiel P. The resilience of the intestinal microbiota influences health and disease. Nat Rev Microbiol. 2017;15(10):630-8
6. Henrick BM, Hutton AA, Palumbo MC et al. Elevated fecal pH indicates a profound change in the breastfed infant gut microbiome due to reduction of bifidobacterium over the past century. mSphere. 2018;3(2):e000417.
7. Vatanen T, Plichta DR, Somani J, Münch PC, Arthur TD et al. Genomic variation and strain-specific functional adaptation in the human gut microbiome during early life. Nat Microbiol. 2019;4(3):470-479.
8. Insel R, Knip M. Prospects for primary prevention of type 1 diabetes by restoring a disappearing microbe. Pediatr Diabetes. 2018;19(8):1400-6.
9. Soderborg TK, Clark SE, Mulligan CE et al. The gut microbiota in infants of obese mothers increases inflammation and susceptibility to NAFLD. Nat Commun. 2018;9(1):4462.
10. Sonnenburg ED, Smits SA, Tikhonov M, Higginbottom SK, Wingreen NS, Sonnenburg JL. Diet-induced extinction in the gut microbiota compounds over generations. Nature. 2016;529(7585):212-5.
11. Nagpal R, Tsuji H, Takahashi T et al. Ontogenesis of the gut microbiota composition in healthy, full-term, vaginally born and breast-fed infants over the first 3 years of life: a quantitative bird’s-eye view. Front Microbiol. 2017;8:1388.
12. Martínez I, Maldonado-Gomez MX, Gomes-Neto JC et al. Experimental evaluation of the importance of colonization history in early-life gut microbiota assembly. Elife. 2018;7:e36521.
13. Tamburini S, Shen N, Wu HC, Clemente JC. The microbiome in early life: implications for health outcomes. Nat Med. 2016;22(7):713-22.
14.Dominguez-Bello MG, Costello EK, Contreras M et al. Delivery mode shapes the acquisition and structure of the initial microbiota across multiple body habitats in newborns. Proc Natl Acad Sci USA. 2010;107(26):11971-5.
15. Shao Y, Forster SC, Tsaliki E et al. Stunted microbiota and opportunistic pathogen colonisation in caesarean section birth. Nature. 2019;574(7776):117-21.
16. Dominguez-Bello MG, De Jesus-Laboy KM, Shen N et al. Partial restoration of the microbiota of cesarean-born infants via vaginal microbial transfer. Nat Med. 2016;22(3):250-3.
17. Wampach L, Heintz-Buschart A, Fritz JV et al. Birth mode is associated with earliest strain-conferred gut microbiome functions and immunostimulatory potential. Nat Commun. 2018;9(1):5091.
18. Sevelsted A, Stokholm J, Bønnelykke K, Bisgaard Cesarean section and chronic immune disorders. Pediatrics. 2015;135(1):e92-8.
19. Thavagnanam S, Fleming J, Bromley A, Shields MD, Cardwell CR. A meta-analysis of the association between Caesarean section and childhood asthma. Clin Exp Allergy. 2008;38(4):629-33.
20. Cardwell CR, Stene LC, Joner G et al. Caesarean section is associated with an increased risk of childhood-onset type 1 diabetes mellitus: a meta-analysis of observational studies. Diabetologia. 2008;51(5):726-35.
21. Braegger C, Chmielewska A, Decsi T et al. Supplementation of infant formula with probiotics and/or prebiotics: a systematic review and comment by the ESPGHAN Committee on Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2011;52(2):238-50.
22. Zmora N, Zilberman-Schapira G, Suez J et al. Personalized gut mucosal colonization resistance to empiric probiotics is associated with unique host and microbiome features. Cell. 2018;174(6):1388-1405.
23. Shepherd ES, DeLoache WC, Pruss KM, Whitaker WR, Sonnenburg JL. An exclusive metabolic niche enables strain engraftment in the gut microbiota. Nature. 2018;557(7705):434-8.
24. Panigrahi P, Parida S, Nanda NC et al. A randomized synbiotic trial to prevent sepsis among infants in rural India. Nature. 2017;548(7668):407-12.