Le mode d’accouchement est l’un des facteurs déterminants pour l’installation et l’équilibre du microbiote intestinal du nourrisson.
Lors de la naissance par voie basse, il se produit rapidement un transfert du microbiote vaginal de la mère vers le nouveau-né. Lors de la naissance par césarienne, ce transfert « naturel » est perturbé. Le microbiote des enfants nés par césarienne est alors constitué préférentiellement par des communautés bactériennes semblables à celles trouvées sur la peau, la diversité bactérienne est moindre, avec une sous-représentation des Bifidobactéries et des Bacteroïdes, alors que les bactéries présentes dans l’environnement et des bactéries potentiellement pathogènes sont plus fréquentes que chez les nouveau-nés nés par voie basse. (1) Ces différences s’atténuent au fil du temps, mais une étude prospective récente a constaté qu’elles peuvent persister chez certains enfants jusqu’à l’âge de 4 ans. (2)
Le microbiote du nouveau-né joue un rôle important dans la maturation de son système immunitaire
Le microbiote intestinal tient un rôle important dans la maturation et l’équilibre du système immunitaire et les perturbations ou des retards dans sa composition peuvent avoir des conséquences sur ce dernier. De plus, l’absence de certaines bactéries pourrait altérer les capacités de métabolisation des oligosaccharides présents dans le lait maternel. La question de l’impact du microbiote sur la santé de l’enfant est soulignée par plusieurs études épidémiologiques qui montrent que la césarienne est associée à des maladies impliquant le système immunitaire (asthme infantile, maladies auto-immunes, allergies) et à des troubles de la régulation métabolique, particulièrement l’obésité. Les données suggèrent que ces associations peuvent être dues, au moins en partie, à l’absence de transmission du microbiote vaginal de la mère à l’enfant au moment de la naissance. (1)
L’ensemencent vaginal, une sorte de « baptême bactérien » ?
C’est ainsi que l’idée de l’ensemencement vaginal a émergé, il y a déjà plusieurs années, avec pour objectif de corriger les différences observées sur le microbiote chez les enfants nés par césarienne, et ainsi de favoriser la maturation du système immunitaire et, à terme, de prévenir certaines maladies associées à la césarienne.
Le procédé de l’ensemencement vaginal consiste à badigeonner, juste après la naissance, les nouveau-nés nés par césarienne, à l’aide de compresses imbibées des sécrétions vaginales de la mère, appliquées au niveau de la bouche, du visage puis du reste du corps, dans le but de reproduire l’exposition dont ils auraient bénéficié au cours d’une naissance par voie basse. La théorie derrière cette technique est qu’elle favoriserait l’installation chez le nouveau-né d’un microbiote proche de celui de la mère et réduirait ainsi le risque de pathologies dont la fréquence est augmentée chez les enfants nés par césarienne.
Une étude observationnelle a été menée sur des nouveau-nés exposés ainsi aux sécrétions vaginales maternelles dès les 2 premières minutes de vie. Les données montrent que l’ensemencement vaginal est associé, à la fin du 1er mois, à une restauration partielle du microbiote de ces enfants nés par césarienne, dont la composition se rapproche de celle du microbiote d’enfants nés par voie basse. (3)
Plus récemment, une autre étude observationnelle, incluant un plus grand nombre de nouveau-nés confirme que l’ensemencement vaginal réduit les différences dans les microbiotes entre les enfants nés par voie basse et ceux nés par césarienne. (4) Il apparaît notamment une augmentation de la présence des Bactéroïdes dans l’intestin des nourrissons, tout au long de la première année, ce qui retient particulièrement l’attention, car un ratio Entérobactéries/Bactéroïdes à 3 mois après une césarienne semble être un marqueur de risque futur d’obésité (5).
Des essais en cours sur l’impact sur la santé de l’enfant
Notons que ces résultats sont issus d’études observationnelles et non d’essais randomisés contrôlés. S’ils indiquent que l’ensemencement vaginal semble bien favoriser une composition du microbiote proche de celle des enfants nés par voie basse, rien ne prouve pour le moment que ces changements aient des effets bénéfiques sur la santé de l’enfant. Des essais randomisés sont en cours pour déterminer l’impact de l’ensemencement vaginal sur le risque d’obésité, d’asthme, d’allergie ou de maladies auto-immunes.
Les résultats de ces essais sont très attendus car, malgré l’intérêt croissant que suscite l’ensemencement vaginal, de nombreuses controverses persistent, portant sur l’innocuité de la technique, particulièrement sur le risque de transmission de pathogènes de la mère à l’enfant.
La prudence est de mise en attendant les preuves d’efficacité
La popularité croissante de l’ensemencement vaginal malgré l’absence de preuves formelles concernant ses bénéfices cliniques et son innocuité, a conduit en 2016 plusieurs sociétés savantes à émettre des mises en garde, et inspiré un éditorial publié dans le British Medical Journal, déconseillant la pratique de l’ensemencement vaginal en dehors des protocoles de recherche, soulignant que même un faible risque d’effets indésirables ne pouvait être justifié tant que les bénéfices n’avaient pas été prouvés par des études rigoureuses (2). Jusqu’à présent, un seul cas d’herpès néonatal localisé a été rapporté à la suite d’un ensemencement vaginal réalisé en dehors d’un protocole de recherche, sans qu’il soit possible d’affirmer qu’il était en lien direct avec la procédure, ou la conséquence d’un autre facteur. Mais ce cas illustre bien la nécessité de recueillir plus de données.
Mise au point faite par le Dr Roseline PELUCHON
Références :
1 . Hourigan SK. Et coll. : Can maternal-child microbial seeding interventions improve the health of infants delivered by Cesarean section? Cell Host Microbe. 2022 May 11;30(5):607-611.
2. Mueller NT, et coll. Bacterial Baptism: Scientific, Medical, and Regulatory Issues Raised by Vaginal Seeding of C-Section-Born Babies. J Law Med Ethics. 2019 Dec;47(4):568-578.
3. Dominguez-Bello MG, et coll. Partial restoration of the microbiota of cesarean-born infants via vaginal microbial transfer. Nat Med. 2016 Mar;22(3):250-3.
4. Song SJ, et coll. Naturalization of the microbiota developmental trajectory of Cesarean-born neonates after vaginal seeding. Med. 2021 Aug 13;2(8):951-964.e5.
5. Vu K, et coll. From Birth to Overweight and Atopic Disease: Multiple and Common Pathways of the Infant Gut Microbiome. Gastroenterology. 2021 Jan;160(1):128-144.e10.