« De l’inconfort digestif à l’APLV, une prise en charge entre croyances et influences »

MESSAGES CLÉS – Webconférence

Pr Patrick Tounian, Dr Marc Bellaiche, Dr Sophie Dubedout

Lien du replay : « De l’inconfort digestif à l’APLV, une prise en charge entre croyances et influences » – Gallia & Vous

« Docteur, vous voyez bien qu’il ne va pas bien ! Il nous faut une solution… vite ! J’ai vu sur Instagram que … » 

Qui n’a jamais entendu cela en cabinet ? 

Alors, APLV ou « simples » troubles digestifs ? La frontière est parfois floue, et le diagnostic d’autant plus compliqué qu’il peut être influencé par des parents anxieux, des informations contradictoires etc … 

A travers une revue de la littérature et de cas cliniques, les experts vous donnent des clés pour naviguer entre les recommandations officielles, l’influence des réseaux sociaux sur les parents, et l’expérience personnelle en cabinet …  

Un meilleur diagnostic, pour une meilleure prise en charge … et une vie familiale apaisée ! 

Prévalence plus ou moins importante en fonction des troubles 

  • Les troubles fonctionnels gastro-intestinaux (TFGI) sont très fréquents 

Le saviez-vous ? (données non communiquées pendant la webconférence) 

TFGI chez le nourrisson Prévalence (%) reporté au niveau mondial1 Selon les critères de Rome IV 
Régurgitations 34% [0-6 mois] 
Coliques 15% [0-6 mois] 
Constipation 1,5% [0-6 mois] 

1 : Muhardi, Leilani et al. “A Narrative Review on the Update in the Prevalence of Infantile Colic, Regurgitation, and Constipation in Young Children: Implications of the ROME IV Criteria.” Frontiers in pediatrics vol. 9 778747. 5 Jan. 2022, doi:10.3389/fped.2021.778747 

  • Les allergies aux protéines de lait de vache (APLV) sont moins fréquentes que les TFGI et souvent sur diagnostiquées (Prévalence : 0,5 à 5% selon formes cliniques, est l’allergie alimentaire n°1 chez le nourrisson) 
  • Allergie IGE médiée (20% des cas) : à la suite de l’ingestion de l’épitope allergénique dans les 2h au max qui suivent cette ingestion  
  • Allergie non IgE médiée (80% des cas) 

TFGI et APLV : le diagnostic clinique est clé 

  • Que ce soit pour les TFGI ou l’APLV non IgE médiée, tous ces troubles ont une définition clinique, il n’a aucun examen biologique complémentaire nécessaire pour les confirmer. Le diagnostic clinique est donc clé. 
  • Lorsque l’on regarde les symptômes de l’APLV non IgE médiée, il y a énormément de TFGI qui définissent une position clinique compatible avec une allergie. 
  • Mais attention, si tout TFGI peut être un signe d’APLV … l’APLV n’est pas à évoquer pour tout TFGI ! 
  • Moins de 1% des régurgitations (RGO) relèvent d’une APLV d’après l’ESPGHAN.(source : Salvatore S, Agosti M, Baldassarre ME, et al. Cow’s milk allergy or gastroesophageal reflux disease – can we solve the dilemma in infants? Nutrients 2021;13:297. doi:10.3390/nu13020297.) 
  • Les pleurs ou l’irritabilité ne sont pas suffisants pour suspecter une APLV 
  • La constipation a elle seule ne doit pas faire penser à une APLV 
  • Il est donc important d’avoir d’autres symptômes cliniques pour venir argumenter une APLV (eczéma, diarrhées, cassure pondérale … et/ou l’association d’autres TFGI) 
  • L’association de TFGI n’est pas forcément une APLV car il existe une prévalence importante TFGI associés (≈80% des cas). (source : Bellaiche M et al. Multiple functional gastrointestinal disorders are frequent in formula-fed infants and decrease their quality of life. Acta Paediatrica 2018. pp 1276-1282) 
  • La physiopathologie n’aide pas non plus à différencier les deux car elle est quasi similaire (microbiote est altéré et plus grande perméabilité intestinale dans les 2 cas) 

Alors comment faire la différence entre APLV et TFGI ?!  

  • L’examen clinique est clé (utilité des critères de Rome IV pour les troubles digestifs et dernières recos de la HAS) 
  • Une APLV devra toujours être confirmée par une éviction/réintroduction 2 à 4 semaines plus tard. Cette étape, est le seul moyen de confirmer une APLV. 
  • A noter que « s’il n’existe pas d’antécédent familial d’atopie, que le bébé n’a pas de dermatite atopique, qu’il n’a pas eu d’épisodes respiratoires ou d’ORL infectieux, qu’il a une prise de poids parfaite -> il y a peu d’argument pour une APLV. » 

Comment prendre en charge TFGI et APLV ?!  

Si un bébé a des régurgitations simples sans autre signe clinique : 

  • Si cela ne suffit pas, et que l’enfant n’est pas allaité, il faudra épaissir le lait 

«L’épaississement est quelque chose d’extrêmement pertinent, puisqu’en moyenne on passe de 12 à 2 régurgitations par jour et ce quel que soit le type d’épaississant » 

Si l’enfant est allaité, ne pas épaissir le lait maternel pour le donner au biberon. Cela est contre indiqué car pourrait altérer l’allaitement. 

  • Pour des régurgitations simples, une formule « GEST » épaissit à l’amidon suffit. 
  • Si un bébé a des régurgitations associées à d’autres troubles intestinaux (hors APLV) : 

« Certaines formules infantiles permettent de traiter plusieurs troubles fonctionnels en même temps grâce notamment à un enrichissement en prébiotiques, une partie fermentée ou encore la présence de béta palmitate. » 

Source : Randomised controlled trial demonstrates that fermented infant formula with short-chain galacto-oligosaccharides and long-chain fructo-oligosaccharides reduces the incidence of infantile colic – PubMed 

Donc, « avec des solutions nutritionnelles efficace, arrêtons la prescription systématique de médicaments ! » 

  • Priorité à une prise en charge nutritionnelle adaptée 
  • « L’HAS dit qu’il n’est pas recommandé de recourir à un traitement d’Inexium pour traiter des signes isolés de reflux chez un enfant dont le développement est par ailleurs normal » 
  • En cas de suspicion de RGO pathologique après échec des mesures hygiéno-diététiques, la HAS dit qu’un essai à base d’alginate de sodium en suspension buvable peut être proposé sur une courte durée, 1 à 2 semaines maximum, bien que les preuves de son efficacité soient limitées. La mise en place d’un tel traitement doit être réévaluée et de courte durée 

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    Si c’est une APLV confirmée par l’éviction/réintroduction, c’est-à-dire qu’il y a eu rechute au moment de la réintroduction, alors il faut maintenir l’hydrolysat poussé de protéines de lait de vache. 
  • Le lait de chèvre ou de brebis n’est pas une alternative au lait de vache pour les enfants APLV. 
  • Le lactose permet une meilleure palatabilité et les formules en contenant sont recommandées dans le dernier position paper de l’ESPGHAN. 
  • Si l’enfant est allaité, l’éviction des PLV chez la mère pendant 2 à 4 semaines permet de poser un diagnostic bien que la bonne observance soit discutable. Dans tous les cas, une supplémentation en calcium de la mère est indispensable lorsque cette dernière suit un régime d’éviction des PLV. 

Dire non à une prescription, ce n’est pas facile …  

« Il ne faut pas négliger le mal-être et les difficultés des familles. Il faut savoir être ferme mais faire preuve d’empathie » 

La crainte de l’erreur, de l’incertitude diagnostique (peut-être a-t-il une œsophagite ?)  et également la persistance d’un modèle de consultation centré sur la prescription (qui « acte » la démarche thérapeutique, rassure le patient, et permet de clore la consultation), poussent le médecin à la prescription. Mais souvent la prescription de médicament n’est pas nécessaire !  

Alors comment faire face à des parents insistants ?!  

  • Tenir le cap ! Inutile de donner des médicaments mêmes si les parents les réclament ! « Le médecin, s’il n’est pas inquiet pour l’enfant, doit être plus impactant pour assoir cette certitude thérapeutique qui est que les régurgitations simples ne se traitent pas avec des médicaments, le tout de manière empathique ».  
  • Proposer aux parents des groupes de paroles « encadrés » par des soignants (équivalent d’ETP) 
  • Référencer des associations de patients pour adresser les parents (forum de discussions, écoute des parents) 
  • Faire gouter les différentes formules car les parents craignent de changer de formules 
  • Si le médecin n’est pas inquiet, rassurer les parents en dédramatisant « mais à part ça » ? Théorie du glaçon ! 
  • Former le personnel de santé à l’importance de ces règles hygiéno-diététiques dans les TFGI, de l’importance de bien les différencier d’une vraie allergie 
  • Evaluation pédiatrique indispensable, recherche de signes d’alerte, d’erreur diététique (reconstitution des biberons, lait utilisé, rythme des repas, etc.) 
  • Echanger avec des confrères/consœurs