Végétarisme, végétalisme, flexitarisme : Vigilance et suivi personnalisé à tout prix

« Depuis quelques décennies, nous recevons en consultation des enfants dont les comportements nutritionnels induits peuvent s’avérer délétères pour leur santé et leur développement. Les enfants qui sont en période de croissance sont plus à risque que les adultes de présenter des troubles nutritionnels graves en lien avec des restrictions alimentaires parfois très excessives ». Conséquences, posture, prise en charge, découvrez l’analyse et les conseils du Pr François Feillet, service de médecine infantile au CHU de Brabois (Vandœuvre-lès-Nancy).

« Nous voyons de plus en plus de types d’alimentation différents. Si certains troubles du comportement alimentaire relèvent d’une prise en charge nutritionnelle et psychiatrique (anorexie, boulimie, ARFID* [Avoidant Restrictive Food Intake Disorder], etc.), d’autres s’apparentent plutôt à des comportements de type sociétal, religieux, voire sectaire. Dans ces derniers cas, la structure psychique de l’individu ou de l’enfant n’est pas en jeu. C’est l’environnement sociétal qui est en cause. Chez les enfants, ces comportements alimentaires sont induits par les parents ou, chez les adolescents, appliqués en réaction contre ces derniers ».

Quelle est la prévalence des différents régimes végétariens ?

Les régimes végétariens seraient adoptés par 5 % des adultes dans les pays industrialisés (1). En Europe, 0,3 % à 7 % de la population en France (1), 7 % au Royaume-Uni et 10 % en Allemagne serait végétarienne (2). Le pourcentage des végétaliens ou végans est bien inférieur, compris entre 1 % et 3 % selon les pays (2), mais en forte augmentation puisque leur nombre aurait progressé de 350 % dans le monde au cours de la dernière décennie (3). Concernant les enfants, la prévalence du végétarisme est, lui aussi, en croissance et 0,4 % des petits Français de moins de 17 ans suivraient ce type de régime alimentaire (1).

Quelles sont les grandes caractéristiques de ces régimes ?

Sont à différencier (4) :
  • Le végétarisme ou l’ovo-lacto-végétarisme : régime alimentaire excluant toute chair animale (viande, volaille, poisson), mais qui admet la consommation d’aliment d’origine animal comme les œufs, les produits laitiers, le miel…
  • Le lacto-végétarisme : régime alimentaire excluant toute chair animale (viande, volaille, poisson) et les œufs, mais qui admet la consommation de produits laitiers, de miel…
  • Le végétalisme : régime alimentaire ne comportant que des produits d’origine végétale excluant tout produit d’origine animale.
  • Le véganisme ou végétalisme intégral : mode de vie qui refuse l’exploitation des animaux, dont la consommation de produits d’origine animale.
  • Le flexitarisme : régime alimentaire à tendance ovo-lacto-végétarisme avec une consommation régulière mais raisonnée de viande 

Ces régimes permettent-ils une croissance normale de l’enfant ?

Les études, réalisées sur des populations d’adultes, ont montré que le végétarisme, en comparaison d’une alimentation courante, parfois très excessive en aliments carnés, permet de prévenir l’obésité, les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle et le diabète de type 2 (4). Toutefois, les bénéfices en termes de santé ne peuvent être directement extrapolés aux enfants. En effet, compte tenu des besoins en nutriments et en énergie plus élevés, les nourrissons, enfants et adolescents sont particulièrement vulnérables et sont plus à risque de développer des carences nutritionnelles (4). Les régimes végétariens peuvent être à l’origine de déficits en acides gras oméga-3, cholestérol, calcium, iode, zinc, fer et en vitamine B12, et d’apports moindres en fibres, énergie et protéines (6).

Il faut souligner que les régimes végétariens bien encadrés permettent des apports en protéines compatibles avec les dernières recommandations nutritionnelles européennes (pour toute la population), en particulier, les apports en protéines qui ont été revus à la baisse avec les années. Un apport de 1 g de protéines par kg de poids corporel est jugé suffisant pour les enfants de plus de 3 ans (5). Cependant, comme les protéines d’origine végétale sont de moindre qualité nutritionnelle, la Société européenne de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN) incite à une certaine vigilance en cas de régime végétarien, même si elle insiste surtout sur le risque d’une alimentation végane (6).

Il faut noter le risque de carence en calcium si les apports en produits laitiers sont insuffisants, principalement à l’adolescence qui est une période cruciale pour la constitution de la masse osseuse. Une supplémentation systématique en vitamine D est recommandée (7) et une supplémentation calcique devra être prescrite en cas d’apports insuffisants, en particulier chez les jeunes filles.

Le comportement le plus problématique pour les enfants est le véganisme. Cette pratique semble paradoxale en ce sens qu’elle se revendique d’une certaine écologie, alors même que la santé de ceux qui la pratiquent nécessite une supplémentation nutritionnelle fournie par l’industrie pharmaceutique ou via des aliments industriels fortifiés en vitamines et autres minéraux. En effet, les aliments d’origine végétale ne fournissement pas l’intégralité des nutriments nécessaires à l’organisme. En particulier, ils ne contiennent pas de vitamine B12 et les minéraux qu’ils apportent n’ont pas la même valeur nutritionnelle que lorsqu’ils sont liés aux protéines animales. D’une certaine manière, le véganisme est un refus de notre nature humaine, qui nécessite la prise exogène de vitamines dont certaines sont liées à un apport en protéines animales. Si l’alimentation ne les apporte pas, le prix à payer est parfois fort, avec des décès infantiles dus à un véganisme extrême et sectaire.

Et pendant la vie intra-utérine ?

Un point de vigilance aussi chez la femme enceinte. Quand le régime ovo-lacto-végétarien est adopté pendant la grossesse, avec des choix alimentaires adéquats, un bon état nutritionnel global peut être atteint, sauf pour la vitamine D, l’acide folique et l’iode qui doivent toujours être supplémentés, ainsi que le fer sur avis médical (8). De plus, pour une future jeune maman suivant un régime végan, une supplémentation doit absolument mis en place, en particulier en vitamine B12, pour garantir une croissance harmonieuse de son bébé avant et après la naissance si l’enfant est allaité, ce qui est le plus souvent le cas dans ce cadre (8). Il est préconisé un bilan, au minimum trimestriel, et une supplémentation systématique en tous les nutriments déficitaires (sélénium, vitamine B12, fer, zinc, vitamine D,…).

Quelle posture et quelle prise en charge pour un enfant recevant une alimentation végane ?

Lors de toute consultation pédiatrique, le médecin devrait s’assurer que les six groupes d’aliments sont consommés :

  • Produits laitiers pour l’apport de calcium, de vitamine A et D*
  • Fruits pour la vitamine C
  • Légumes pour les fibres et les vitamines B1, B2, B6 et B9
  • Viande, poisson, œufs (en adéquation avec l’âge de l’enfant) qui sont pourvoyeurs de protéines, de vitamines B12 et D*, de fer héminique et de minéraux (zinc, sélénium)
  • Lipides pour les apports énergétiques et en acides gras essentiels
  • Féculents

Devant un enfant sous régime végan, aux conséquences potentiellement dangereuses, l’objectif initial n’est pas de dissuader immédiatement les parents, au risque de rompre le lien avec les équipes soignantes, mais de vérifier l’absence de déficits au moyen d’un bilan nutritionnel sanguin. Celui-ci permettra d’objectiver une ou plusieurs carences éventuelles et servira de socle au dialogue pédiatre-parents. S’ils n’admettent pas de modifier l’alimentation végane, ils acceptent la plupart du temps les compléments alimentaires (vitamines D et B12 ; calcium ; acide docosahexaénoïque, acide gras essentiel utile au fonctionnement cérébral). Les supplémentations se feront en fonction des résultats du bilan nutritionnel.

Par exemple, la supplémentation en fer ne doit pas être systématique, mais sera prescrite après dosage de la ferritine. Dans les études, jusqu’à 50 % des enfants sous régime végétarien ont une carence martiale (9). La Société française de pédiatrie recommande, qu’entre l’âge de 1 et 6 ans, les enfants doivent boire au moins 300 ml par jour de lait de croissance jusqu’à ce qu’ils soient capables de consommer 100 à 150 g/jour de viande (10). À partir de l’âge de 7 ans, 2 portions de produits carnés doivent être consommées quotidiennement pour assurer les besoins journaliers en fer (10). Ainsi, en cas de déficits constatés, l’objectif sera de faire comprendre aux parents qu’il est nécessaire que leur enfant puisse avoir une quantité suffisante d’aliments d’origine animale ou d’accepter une supplémentation nutritionnelle afin d’éviter les carences qui peuvent, à la longue, avoir des conséquences graves sur sa santé.

Le flexitarisme est-il un retour à la raison ?

La notion de flexitarisme n’existerait que depuis 2003, mais le végétalisme (le refus de consommer toute protéine d’origine animale, y compris le miel) ou le véganisme (plus largement, vivre sans exploiter les animaux) existent depuis très longtemps ; la Vegan Society en Angleterre a été créée en 1847.

Le sens de l’alimentation est la nutrition. Dans une société où les aliments sont disponibles en quantité pléthorique, s’alimenter fait appel à d’autres motivations que la nutrition. On mange par plaisir, par ennui, pour limiter le stress, etc. Lors du siècle dernier, avec l’augmentation du niveau de vie des sociétés occidentales, le lien entre alimentation et nutrition s’est distendu, générant des excès, soit en lien avec un certain hédonisme alimentaire (manger sans faim ou par gourmandise) avec des conséquences délétères sur la santé et l’espérance de vie (obésité, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires, cancer…), soit en lien avec une vision dogmatique de la nutrition, générant des comportements qui vont à l’encontre d’une bonne santé corporelle. Le flexitarisme est une prise de conscience de ces dérives et permet de retrouver un lien plus juste entre l’alimentation et les besoins nutritionnels, sans tomber sous les diktats du plaisir alimentaire ou de régimes plus dogmatiques qu’équilibrés du point de vue nutritionnel. Concrètement, le flexitarisme s’apparente à un ovo-lacto-végétarisme s’accordant des prises régulières mais rationnalisées de produits carnés. Il n’y a donc pas de différence entre alimentation raisonnée et flexitarisme. On peut alors dire qu’un enfant de parents flexitariens peut être alimenté de manière équilibrée si ses besoins nutritionnels sont comblés, permettant alors une croissance harmonieuse, sans tomber dans les excès d’une suralimentation protéique.  

* Présente dans les poissons gras (hareng, sardines, saumon, maquereau), le jaune d’œuf, les abats, le fromage, le beurre et les margarines…

** L’ARFID concerne de plus en plus d’enfants qui excluent certains aliments (fruits, légumes, etc.) au point parfois de restreindre leur alimentation de manière excessive (enfants se nourrissant exclusivement de desserts lactés, par exemple). L’ARFID est à distinguer de l’orthorexie alimentaire, reposant sur des règles intangibles du fait d’une structure psychique rigide qui s’applique à l’alimentation, laquelle peut être équilibrée ou non.

Pour en savoir plus

Peretti N, Darmaun D, Chouraqui JP et al. Vegetarian diet in children and adolescents: a health benefit ? Arch Pediatr. 2020;27(4):173-5.
Interview du Pr François Feillet, service de médecine infantile au CHU de Brabois (Vandœuvre-lès-Nancy), coordinateur du centre de référence des maladies métaboliques de Nancy et unité Inserm NGERE U1256 et membre du comité de nutrition pédiatrique de la Société Française de Pédiatrie.


Références :

1. Peretti N, Darmaun D, Chouraqui JP et al. Vegetarian diet in children and adolescents: a health benefit ? Arch Pediatr. 2020;27(4):173-5. 2. Redecilla Ferreiro S, Morais Lopez A, Moreno Villares JM. Position paper on vegetarian diets in infants and children. Committee on Nutrition and Breastfeeding of the Spanish Paediatric Association. An Pediatr. 2020;92(5):306.e1-306.e6. 3. Ferrara P, Corsello G, Quattrocchi E et al. Caring for infants and children following alternative dietary patterns. J Pediatr. 2017;187:339-40.e1. 4. Schürmann S, Kersting M, Alexy U. Vegetarian diets in children: a systematic review. Eur J Nutr. 2017;56(5):1797-817. 5. European Food Safety Autority (EFSA). Scientific Opinion on Dietary Reference Values for protein [en ligne]. [Consulté le 14/09/2021]. Disponible à l’adresse : https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2012.2557 6. Fewtrell M, Bronsky J, Campoy C et al. Complementary feeding: a position paper by the European Society for Paediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition (ESPGHAN) Committee on Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2017;64(1):119–32. 7. Vidailhet M, Mallet E, Bocquet A et al. Vitamin D: still a topical matter in children and adolescents. A position paper by the Committee on Nutrition of the French Society of Paediatrics. Arch Pediatr. 2012;19(3):316-28. 8. Koletzko B, Bauer CP, Bung P et al. German national consensus recommendations on nutrition and lifestyle in pregnancy by the ‘Healthy Start – Young Family Network’. Ann Nutr Metab. 2013;63(4):311-22. 9. Pawlak R, Bell K. Iron status of vegetarian children: a review of literature. Ann Nutr Metab. 2017;70(2):88-99. 10. Tounian P, Chouraqui JP. Iron in nutrition. Arch Pediatr. 2017;24(5S):5S23-5S31.