Les Acides Gras PolyInsaturés à Longue Chaîne (AGPI-lc) entrent dans la composition des phospholipides membranaires. Certains d’entre eux tiennent une place essentielle dans le développement cérébral.
Deux AGPI à longue chaîne (AGPI-lc) jouent un rôle important dans la structure et la fonction du cerveau humain. Il s’agit de l’acide arachidonique (ARA) et de l’acide docosahexaénoïque (DHA). L’ARA participe à la myélinisation au niveau cérébral et au développement de la tolérance immunitaire du nourrisson. Le DHA est présent en grande quantité dans les membranes lipidiques neuronales et dans les photorécepteurs de la rétine. Il participe principalement au fonctionnement du cortex préfrontal, impliqué notamment dans la mémoire(1). Si l’importance des AGPI-lc pour le développement du cerveau et de la vision (pour le DHA) est démontrée, le lien avec le développement cognitif n’est toutefois pas encore parfaitement interprété et fait actuellement l’objet de nombreux travaux(2).
Que sont les acides gras à longue chaine ?
Chez l’adulte, les AGPI-lc peuvent être fournis par l’alimentation ou synthétisés de manière endogène. Les précurseurs des AGPI-lc sont eux, dits Acides Gras Essentiels (AGE) car non synthétisables par l’organisme et nécessitant un apport exogène. Il s’agit de :
- L’acide linoléique (AL), de la famille des omega-6, précurseur de l’ARA,
- L’acide a-linolénique (AAL), de la famille des omega-3, précurseur de l’acide eicosapentaénoïque (EPA) et du DHA.
La transformation des acides gras essentiels en AGPI-lc se fait par l’intervention des désaturases (qui incorporent des doubles liaisons) et des élongases (qui allongent la chaine carbonée). Or, ces enzymes sont communes pour la série des oméga 3 et des oméga 6 : il se produit donc une compétition entre les acides gras essentiels pour la synthèse des AGPI-lc. Le DHA étant le plus long et le plus insaturé des AGPI-lc, et compte tenu de la compétition potentielle des AGE sur les désaturases et les élongases, sa production peut parfois être insuffisante. Le DHA étant indispensable au développement neurologique de l’enfant, un apport minimal est recommandé entre 0 et 18 ans.(3)

Conversion des acides gras essentiels (acide linoléique et acide a-linolénique) en acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPI-lc) : ARA (acide arachidonique), EPA (acide eicosapentaénoïque) et DHA (acide docosahexaenoïque).
Les AGPI-lc, indispensables dès la vie intra-utérine
Les AGPI-lc s’accumulent dans le cerveau du fœtus principalement au cours du 3ème trimestre de la grossesse, puis pendant la période néonatale et jusqu’à l’âge de 2 ans, pour se maintenir à des niveaux élevés dans le cerveau tout au long de la vie(2).
Durant la vie intra-utérine, le transfert des AGPI de la mère à l’enfant se fait principalement par voie transplacentaire. La concentration maternelle plasmatique en lipides augmente au cours de la grossesse, et le passage placentaire se fait par un mécanisme de gradient, privilégiant, de façon encore mal expliquée, le transfert des AGPI à longue chaine(2).
Le type d’alimentation de la mère, plus ou moins riche en omega-6 ou omega-3, aura une influence sur les quantités d’ARA et surtout de DHA qui parviendront aux structures nerveuses de l’enfant. Chez la femme enceinte, les apports nutritionnels conseillés en AL et AAL doivent représenter 4 % et 1 % de l’apport énergétique total, respectivement(4). Les aliments les plus riches en AL sont les huiles de pépin de raisin, de tournesol, de noix et de maïs. Les aliments les plus riches en AAL sont : les noix et les huiles de colza, de soja et de noix(3).
Le lait maternel, la référence en termes d’acides gras
Après la naissance, l’apport d’AGPI-lc au nourrisson est assuré par les AGPI présents dans le lait maternel. Celui-ci fournit au nourrisson les acides gras essentiels, de l’ARA et du DHA. La concentration d’ARA dans le lait maternel est supérieure à celle du DHA, et est assez constante dans le temps. La concentration en DHA est en revanche très variable et dépend de l’alimentation de la mère(1). Les apports nutritionnels en DHA conseillés aux femmes allaitantes sont de 250 mg/jour(4). Les aliments les plus riches en DHA sont : l’huile de foie de morue et de poisson, les sardines, maquereaux, hareng, saumon et truite fumée(3).
Lorsque l’allaitement maternel n’est pas possible ou souhaité, seules les formules infantiles peuvent le remplacer. Du fait de l’importance du DHA dans le développement de l’enfant, une directive européenne a rendu obligatoire son ajout (à raison de 20-50 mg/100 kcal) dans toutes les préparations pour nourrissons et de suite à partir du 22 février 2020(3). Selon cette même réglementation et contre l’avis des experts(1,5), l’ajout d’ARA dans ces formules est facultatif.
A partir de la période de diversification, une alimentation saine et variée devra s’attacher à couvrir des apports suffisants en acides gras essentiels et en AGPI-lc.
Les experts se prononcent pour l’ajout systématique d’ARA dans les formules infantiles
Dans leur récente prise de position, l’Académie Européenne de Pédiatrie et la Fondation pour la Santé de l’Enfant se sont penchées sur la pertinence de l’ajout systématique de 20-50 mg/100 kcal de DHA, sans imposer l’ajout d’ARA, pourtant majoritairement présent dans le lait maternel. Sur la base de preuves scientifiques, les experts recommandent la supplémentation systématique de DHA et d’ARA dans les formules infantiles(5).
En effet, ceci est étayé par plusieurs arguments, à savoir (1):
- Le lait maternel, qui est le gold standard* de l’alimentation du nourrisson, contient ces deux AGPI-lc avec un rapport ARA/DHA pouvant aller jusqu’à 2/1,
- La synthèse endogène d’ARA permet d’assurer les besoins cérébraux mais les fonctions biologiques non neurologiques (immunitaires notamment) dépendent de l’apport alimentaire d’ARA,
- Presque un tiers des enfants sont porteurs de variants génétiques des désaturases qui peuvent diminuer la synthèse d’ARA et impacter le développement cognitif de l’enfant si cet élément n’est pas apporté de façon exogène par l’alimentation,
- Un rapport ARA/DHA inférieur à 1 serait susceptible d’altérer le développement neurologique de l’enfant.
La quantité de DHA ajoutée aux formules infantiles devrait être proche de celle contenue dans le lait maternel soit entre 0,3 et 0,5 % des acides gras totaux. Celle d’ARA reste à déterminer mais devrait, selon les experts, se rapprocher de celle de DHA(1,5).
* Le meilleur par excellence
Références :
1. Tounian P. : Pourquoi ne pas avoir rendu obligatoire l’ajout d’acide arachidonique dans les préparations infantiles est une erreur ? Cahiers de nutrition et de diététique (2020) 55, 148—151.
2. Lauritzen L. et coll.: DHA Effects in Brain Development and Function – Nutrients 2016, 8, 6.
3. Tounian P. et coll.: Pourquoi doit-on craindre les carences lipidiques en pédiatrie? Réalités Pédiatriques – n° 232_Juin 2019.
4. Avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à l’actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras. Mars 2010.
5. Koletzko B, et coll. : Should formula for infants provide arachidonic acid along with DHA? A position paper of the European Academy of Paediatrics and the Child Health Foundation. Am J Clin Nutr. 2020 Jan 1;111(1):10-16. doi: 10.1093/ajcn/nqz252.